Quelques propositions pour rendre compte du doc. n° 60

Claudel : "L’Orage de Rembrandt"

 

 

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A. Quelques remarques à propos du texte

 

Le texte ne se trouve pas dans l’édition de la collection "Folio" dont vous pouviez facilement disposer. Il faut aller le chercher dans le tome XVII des Œuvres complètes (ou dans l’édition de la Pléiade à laquelle je renvoie pour la pagination)

 

Dans son Journal Claudel précise : "Pour la radio, j’écris quelque chose sur l’Orage de Rembrandt". Un texte destiné à être lu et entendu ? Cela peut orienter votre commentaire et vous inviter à être attentif aux sonorités.

 

Accès au tableau : "Paysage d’orage" (c. 1638, 51,3 x 71,3, © Herzog-Ulrich Museum, Braunschweig).

 

La définition qui apparaît en italique dès le premier paragraphe était à identifier. Elle est tirée des Théories, 1890-1910, de Maurice Denis, Bibliothèque de l’Occident, 1912, et citée de mémoire (donc… approximativement) par Claudel. La voici dans son intégralité : 

 

Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote -, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.

 

            A identifier encore les mentions de peintres, musiciens ayant cherché - et réussi – à décrire un orage. Les exemples sont multiples. Pour la musique, on pensera particulièrement à l’Eté extrait des Quatre Saisons de Vivaldi, à l’une des sections de la Symphonie n° 6 de Beethoven dite "Pastorale" (4. Gewitter – Sturm / Allegro). Pour ce qui est de Ramuz, on peut songer à La Grande peur dans la montagne (son roman le plus fameux). Mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas l’œuvre évoquée ici par Claudel. Il s’agit en fait d’une fiction moins connue, intitulée Les signes parmi nous (1919, réédité en 1952 et 1953) et dont voici un résumé :

 

Nous sommes en 1918, la dernière année de la Première Guerre mondiale. Même en Suisse, les gens meurent comme des mouches de la grippe dite espagnole. Partout les "signes se multiplient". Un vent révolutionnaire venu de Russie souffle sur le pays. Les ouvriers s'agitent et se mettent en grève. La nature, elle aussi, menace: un orage comme on en a jamais vu se prépare sur le Léman. Mais les gens se moquent de Caille [le colporteur biblique] qui annonce l'Apocalypse. Le Livre n'a-t-il pas prédit: "Le soleil deviendra noir comme un sac de poil" ? Imperturbable sous l'orage, Caille ne cesse de répéter les mots fatidiques des écritures. Mais l'Apocalypse s'achève en idylle. Au milieu de l'orage une jeune paysanne, Adèle, s'abandonne à son amoureux. Il la regarde dormir. "A présent je vois ses cheveux. Je regarde comme elle est toute. Elle a les lèvres grosses; j'aime" "C'est nous qu'on refait le beau temps", lui dira-t-il à son réveil. Plus panthéiste que mystique, Ramuz a voulu ainsi opposer cette foi tenace des hommes dans l'amour et dans la vie aux sombres visions du colporteur, tendu vers l'invisible.

 

(Le nouveau dictionnaire des œuvres de tous les temps et de tous les pays, p. 6703-6704)

 

On sera, dans le texte de Claudel, particulièrement attentif à deux champs lexicaux : celui de la musique (paragraphe 6 : un peu paradoxal pour parler de peinture, mais Claudel avait - pour reprendre une formule de Daniel Arasse - "l’imagination sonore") ; celui de la faute (5e et 7e paragraphes).

 

 

Pour l’énigmatique fin du texte (cf. la "conscience coupable") on notera que le thème de la faute ou de la culpabilité ("accusateur", "juge", "aveux", "confessions", "conscience coupable") est souvent présent dans l’œuvre de Claudel. Les raisons sont sans doute à chercher dans le biographique. On peut procéder à un relevé de ce leitmotiv dans La poésie est un art et dans La magie du verre, par exemple :

 

C’est nous qui labourons le champ du passé et en faisons sortir ces débris accusateurs (souligné par moi). (O.C. Œuvres en prose, Pléiade, p. 56)

 

Mais en bas, dans le vivier central, grouillent tous les animaux qui s’agitent au fond d’une mauvaise conscience, vers, mollusques, salamandres, coquilles, calmars aux yeux de fantôme, crocodiles pustuleux, et tout ce qui du fond de l’Enfer est capable de gicler sous la tarière. (Op.cit. p. 399).

 

Pour ce qui est de "l’imagination sonore", on se contentera de relevés effectués dans l’Introduction à la peinture hollandaise (Pléiade, Œuvres en prose, p. 167 et suivantes).

 

Je crois […] que nous comprendrions mieux les paysages hollandais, ces thèmes de contemplation, ces sources de silence, qui doivent leur origine moins à la curiosité qu’au recueillement, si nous apprenions à leur tendre l’oreille en même temps que par les yeux nous en alimentons notre intelligence.

 

[…]

 

Et l’on voit peu à peu, j’allais dire que l’on entend, la mélodie transversale, comme une flûte sous des doigts experts, comme une longue tenue de violon, se dégager de la composition des éléments.

 

[…] petits personnages là bas qui courent à la manière d’un trille nerveux, je les compare à ces touches de doigt au point juste sur la corde en vibration, au plectre qui agace le luth.

 

Songer aussi à gloser le titre : L’œil écoute.

 

 

B. Proposition d’un plan succinct

 

Une exégèse – de l’exégèse à la réflexion esthétique / une réflexion générale sur l’art – au-delà du texte ou le texte prétexte / au-delà de la peinture.

 

q       Une exégèse

 

§         Rappel de ce qu’est une exégèse : explication, interprétation philosophique et doctrinale d’un texte dont le sens, la portée sont obscurs ou sujets à discussion (notamment la Bible ; idée d’hermétisme, de sacré.)

 

§         Rappel que c’est le titre générique d’un ensemble de textes relatifs aux arts plastiques dans le tome XVII des Œuvres complètes de Claudel : "Quelques exégèses : Jan Steen – Nicolaes Maes – Watteau – Fragonard – Jordaens – L’Agneau mystique – Trois tableaux hollandais – la Pinacothèque de Munich – Rembrandt (L’Orage, La Minerve, Saül et David) – Le Retable portugais – Quelques réflexions sur la peinture cubiste – le Chemin dans l’art". Le titre de ce premier point est donc tout à fait justifié.

 

§         Exégèse d’UN tableau ("L’Orage de Rembrandt" : titre restrictif) à entendre aussi au figuré (comme Prévert parle de "l’orage de Vincent" dans un de ses poèmes : cf. doc. n° 71). Un tableau qui se trouve en Allemagne à Brunswick. En outre Rembrandt n’est pas vraiment un paysagiste, bien qu’il ait assez souvent traité du thème de l’orage. Pourquoi le choix de ce tableau ?

 

 

q       Une réflexion générale sur l’art (problème d’esthétique générale, poésie, musique)

 

§         La définition de Maurice Denis (à resituer dans son contexte) jugée comme insuffisante et remplacée.

 

§         La question finalement posée par Claudel (souvent dans son œuvre) : qu’est-ce qu’un tableau ?

 

§         Il tente d’y répondre dans L’œil écoute (titre à gloser pour ses implications dont le texte témoigne ; phénomène des synesthésies à évoquer. Filiation Baudelaire, Rimbaud, Claudel). "Ce sont de tristes tableaux, ceux auxquels il est impossible de prêter l’oreille (Claudel, La lecture). "Claudel a l’imagination sonore" (cf. Arasse) : analyse d’un champ lexical dans l’avant-dernier paragraphe. Allitérations en [b] et [t] dans la première phrase. Voir aussi son texte sur l’harmonie imitative. Se rappeler que le texte a été écrit pour la Radio (cf. Journal de Claudel) : peut-être une dimension sonore à prendre en compte.

 

§         Soustraire l’instant à la disparition, s’opposer à la fuite du temps. L’instant éternisé sur la toile. Supériorité de la peinture sur les arts du temps que sont musique et poésie. Cf. Proust dans Le côté de Guermantes : le passage des Elstir du duc de Guermantes, O.C. Pléiade, tome II, page 419-422).

 

§         L’art nous interpelle, touche notre âme. Cf. notre implication au cinquième paragraphe.

 

 

q       Au-delà de la peinture et au-delà du texte

 

§         L’énigmatique dernier paragraphe à rapprocher d’autres passages glanés ici et là dans l’œuvre. Champ lexical de la faute. Termes à coloration morale.

 

§         L’exégèse servant, en somme, à illustrer une idée  Cf. "Je trouve une illustration de cette idée, etc."

 

§         Mesurer l’écart entre le titre du texte et le titre du tableau : "Paysage d’orage" mettant finalement plus l’accent sur un paysage que sur l’orage lui-même (cf. supra, sens figuré du mot).

 

§         Invitation à interroger le biographique ou l’histoire ? Texte délibérément daté à la différence d’autres textes atemporels (se poser la même question pour le document n° 61)

 

§         Faire l’exégèse du texte. Exégèse à plusieurs niveaux : le texte de Claudel fait l’exégèse du tableau ; nous sommes amenés à faire l’exégèse du texte de Claudel…

 

 

 

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