DOC. n° 43 : René VINÇON, Cythère de Watteau ou le "Ruban bigarré"..., 1998.

 

 

 

Prélude

 

            Seule la rectitude de la statue plantée telle une stèle affirme discrètement un sol incertain brouillé par d’indiscernables feuillages qui tapissent un premier plan dont la vacance tremblée nous présente comme déjà lointain l’égrènement des figures. L’unique ligne droite du paysage est le trait sourd et virtuel, retiré dans l’axe de la statue de Vénus, parallèle au bord droit du tableau, seul signe d’une précaire stabilité. Incrustée dans le fond feuillu qui en absorbe jusqu’à l’absence, cette discrète statue marque un point d’équilibre dans le balancement global du tableau. A peine altérée par une guirlande de fleurs dont le tressage négligé est en contrepoint d’un drapé qui enveloppe le bas-ventre d’un corps tronqué, sans membres - à peine identifiable comme une Vénus, sinon grâce à quelques éléments négligemment posés : ce carquois, par exemple, qui ceint le piédestal - cette statue est le fléau d’une curieuse balance dissymétrique dont le subtil équilibre est secret ; et qu’au contraire d’un poids se mesure, ici, la légèreté.

 

            Plus qu’une simple ligne droite, voici un trait clair : l’angle lumineux, blanchâtre et tremblant, du piédestal légèrement biais, évasé vers le bas. Font suite d’autres traits, discrets qui marquent une mesure : à y regarder de plus près la frise des personnages est accompagnée de fines griffures roides et droites, à commencer par celle - la plus longue, pointue comme une aiguille - de la canne qui gît à terre aux pieds du personnage rouge et noir qui s’agenouille au près de la seule figure féminine assise de face, stable et fragile dans sa pose de madone. A ses pieds, un enfant auréolé d’un drapé sinueux, tire le satin blanc de sa robe.

 

            Petites cannes, petites barres, fines rayures dans l’ondoiement de l’ensemble. Bâtonnets dispersés dans le Tout-Ensemble comme à en contrarier l’ordre et à y marquer, toujours discrètement, un rythme. L’Ensemble : un long rythme lent dans l’étirement horizontal du tableau. En partant de la statue, il y a sept cannes qui rythment en mineur la ligne serpentine du Tout-Ensemble, comme autant de barres de mesure. Griffures dansantes qui n’obéissent plus à une cadence monotone : elles-mêmes figures du rythme, scansion. Comme si un arpège légèrement irrégulier, dispersé, était enfoui dans la grande mélodie du défilé des figures.