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n° 12 : Olivier CENA, "Cachez ce verre que je ne saurais boire", in Vingt-trois
regards sur trente-six toiles. 1996 (Télérama,
Hors/série T 2096, février 1996)
Elle est laide. Elle est
volontairement représentée laide. Elle boit et l'ivresse déforme son visage.
L'homme l'entraîne, pousse de sa main le verre vers la bouche en racontant des
grivoiseries. Il capture une proie facile. La jeune fille l'écoute ; elle
terminera dans son lit. Sans doute est-elle ravissante lorsqu'elle ne boit pas,
prude peut-être, bien élevée, chaste et conforme à l'image de la jeune
bourgeoise néerlandaise au XVIIe siècle. Mais elle s'est laissé
tenter : elle n'a pas obéi au vitrail de la fenêtre, qui lui recommande la
tempérance.
Voici donc un tableau moral, que
l'on pourrait imaginer destiné à l'éducation des jeunes filles. Vermeer
n'invente rien : il reprend un thème populaire à la mode - les scènes de
beuverie et de bordel - et l'édulcore selon les goûts de la bonne société
d'alors. On montre pour mieux dénoncer. "Cachez ce verre...
", semble dire la sévérité du regard
du personnage peint sur le tableau du fond.
La pièce est conforme aux scènes de
genre du peintre : carrelage, lumière venant d' une fenêtre à gauche, tableau -
peut-être un portrait de famille , - sur le mur. Un homme courtise et l'autre
rêvasse, les désirs sans doute satisfaits, mais satisfaits par qui ? Ici, le
tableau montre son originalité : le décor, les objets, les vêtements témoignent
d'une vie luxueuse. Nous ne sommes donc pas dans un bordel de Delft, mais dans
la maison d'un bourgeois. Qui est donc ce second personnage attablé et rassasié
? Devant lui s'étale une nature morte d'une grande beauté : un plat d'argent où
se trouvent deux oranges (deux citrons ?), un pichet de faïence et une feuille
de papier. Cette dernière a-t-elle contenu du tabac, comme le pensent certains
spécialistes ? Mais peut-être s’agit-il simplement d’une lettre. L’homme vient
de la lire. Son visage morose indiquerait alors une mauvaise nouvelle. Il
demeure pensif. Pourquoi est-elle
partie ? Pourquoi a-t-elle décidé de rompre ? Parce qu'elle fut aussi une proie
facile ? On peut aussi imaginer qu'il ne boit pas, qu'il ne courtise pas, qu'il
s'ennuie. La femme est laide parce qu'elle est ivre. La sienne, pense-t-il,
était belle et sobre et - il le croyait jusque là - fidèle. Entre sa tristesse
et le sourire mielleux de son compagnon, il y a la fenêtre, sur laquelle est
inscrit le symbole de la tempérance.
Introduction rédigée et suggestion de plan