DOC. n° 8 : Sylvie GERMAIN, Patience et
songe de lumière. Vermeer, 1993.
La vérité est farouche, le chemin
qui y mène tortueux et escarpé. la béatitude réclame ascèse et renoncement; la
beauté est si extraordinaire qu’elle requiert une veille constante, une extrême
attention, une insomnie de la conscience. La lumière est beauté et vérité,
remonter vers sa source est à la fois épreuve et félicité, se tenir à son seuil
est merveille.
Franchir son seuil n'a plus de mot,
plus d'attribut en mesure de qualifier un tel pas au-delà.
Hommes et femmes dans l'œuvre de
Vermeer montent la garde, les uns penchés, les autres debout, tête haute et
front clair à cette orée. Ils y sont parvenus par des voies différentes, toutes
aussi longues et ardues. Mais nul n'a accompli le pas au-delà, pas même Marie
assise aux pieds du Messie dans Le Christ
chez Marthe et Marie, ni la sculpturale servante dans La Lettre, ni la femme en extase dans L'Allégorie de la Foi, les yeux perdus dans la contemplation d'une
sphère de cristal suspendue à une solive du plafond par un ruban bleu. La
sphère est à la hauteur de la tête du Christ mort représenté sur la Crucifixion qui orne le mur du fond ;
l'espace anamorphique enclos dans le cristal est impénétrable. Il demeure un
appel. Un appel vers l'Ailleurs, - toujours, toujours ailleurs, au cœur même de
l'ici.
La femme, vêture de satin blanc et
bleu, foule d'un pied le globe terrestre. Il n'y a plus de "point qui fût
fixe et assuré". Une pomme, chue d'un verger du globe, a roulé sur le sol,
fruit d'une connaissance imparfaite et douteuse ; le ver du mensonge, de
l'orgueil et de l'impatience ronge ce fruit volé. Il n'y a plus d' appui et
nulle certitude ; il n'y a que lumière toujours recommencé de la lumière. De la
lumière qui irise la sphère de cristal en suspension dans le vide.
Une lourde tenture, semblable à
celle qui laissait entrevoir l'atelier du peintre, s'apprête à retomber en
silence sur la scène de L'Allégorie.
Le jour glisse sans fin sur les toits
de miel des maisons de Delft, le chant de Clio se faufile par les fenêtres
ouvertes, il s'enlace aux gorges et aux doigts des femmes, s'enroule à leurs
oreilles, se love dans leur âme, il polit le front des hommes, sonne dans leurs
pensées, et creuse les réponses que ces derniers avaient cru donner aux
questions qui les travaillent. Seul demeure l'étonnement.
“L'attente changeait insensiblement
les paroles en question. [...] La question de l'attente : l'attente porte une
question qui ne se pose pas1.” L'attente luit au bout d'un ruban de
soie bleue.
1. M. Blanchot, L'Attente,
l'Oubli.