Pommier en fleur, de Mondrian

(une autre "lecture" de Sylvie Germain à découvrir)

 

 

A. D’un arbre à l’autre

 

Figure essentielle de l’art abstrait, Piet Mondrian (1872-1944) séjourne à Paris entre 1911 (1912 selon certaines sources) et 1914. Il y découvre le cubisme. Pendant quatre ans, l’artiste, crayons, fusains et pinceaux en main, étudie les arbres. Il les médite, il les décante. A l’instar de Cézanne face à sa montagne Sainte Victoire, il va s’affranchir peu à peu d’un rendu réaliste, cheminant de l’apparence vers l’essence.

 

 

 

Mondrian, L'Arbre rouge, 70 x 99, 1909, Haags Gementemuseum, La Haye.

Mondrian, Le Pommier en fleur, 78 x 106, 1912, Haags Gementemuseum, La Haye.

 

 

Le Pommier en fleur (1912) constitue l’aboutissement de la concentration et de la méditation du peintre face aux arbres. Depuis l’Arbre rouge (1909) jusqu’à ce pommier réduit à un réseau de courbes et de droites fibreuses comme en apesanteur, l’évolution vers l’abstraction est patente. On notera que la profondeur a été gommée, l’horizon évacué. Les plans se sont comme rapprochés jusqu’à se fondre en une surface plane. L’espace s’est dissous en un éther aux tons pastels – vert jade, jaune, mauve – lisse et légèrement glacé. Alors que dans l’œuvre de 1909, l’arbre – que n’aurait pas renié le fauvisme - se trouvait comme serti dans un espace azur, dans celle de 1912, c’est cet espace même, rendu quasi neutre, qui se trouve enchâssé entre les branches filiformes du pommier aux fleurs invisibles.

 

 

B. Pommier en fleur de Mondrian "lu" par Sylvie Germain

 

"Mondrian a conduit à l’extrême le processus se décantation du visible. Le réalisme et l’influence expressionniste des plus anciennes de ses œuvres ont disparu pour faire place à ne suggestion subtile, à une harmonie silencieuse de lignes et d’arabesques sur un fond d’aube limpide. Mais cette froideur apparente est transie de force, irriguée de ferveur. Les branches parcourent la peau nacrée de l’espace comme des nerfs à vif, le striant de signes et de vibrations secrètes, célébrant l’alliance entre le visible et l’invisible. La magnifique nudité de cet arbre jaillissant à fleur de l’espace pourrait illustrer ces vers de Rilke ouvrant les Sonnets à Orphée :

 

            Alors un arbre s’éleva. O pure élévation !

            O chant d’Orphée ! O grand arbre dressé dans l’oreille !

            Et tout se tut. Pourtant, au sein de l’unanime silence

            S’accomplit un nouveau recommencement, signe de métamorphose.

 

Quelque chose en effet commence dans ce tableau : une nouvelle aurore du monde. Un signe tremble au sein même de sa sereine immobilité : le temps tinte en sourdine sous la caresse furtive de l'éternité. Et une métamorphose s’accomplit : un visage transparaît au milieu des branches. Deux grands yeux aux paupières poudrées d’or ne s’ouvrent-ils pas, rêvant, au cœur de l’arbre ? Deux yeux aveuglés d’espace et de lumière, illuminés de songe et d’émerveillement.

 

Un visage en train d’éclore, irradiant de douceur, tel celui d’un ange qui un instant poserait son front contre un vitrail. Un visage arborescent où fleurit la grâce. " [cliquer ici]

 

 

(extrait du numéro du 19  avril 2001 du supplément de La Vie)