du texte de J. – M. Laclavetine sur André Besse (doc. n° 53)
(commentaire composé/lecture méthodique)
Autoportrait
de Jean-Marie Laclavetine :
Est né.
Sait où et quand. Ignore pourquoi.
A eu femmes, enfants, amis. Les a toujours, mais pas tous.
A écrit plusieurs pages.
A bu des verres en bonne compagnie. A l'intention de continuer.
S'est souvent demandé ce qu'il faisait là.
Cessera, un jour, de se le demander.
Jean-Marie Laclavetine est né en 1954
à Bordeaux et vit maintenant en Touraine. Il est l’auteur de plusieurs romans
et nouvelles (Demain la veille, En douceur..., Prix Goncourt des lycéens
1999 avec Première ligne) ; il a
traduit de l’italien des œuvres de Brancati, Borgese, Volponi, Sciascia,
Moravia, Savinio et fait partie du comité de lecture des éditions Gallimard...
Il s’est en outre essayé à la critique d’art et ne dédaigne pas, de temps à
autre, d’écrire des textes pour les plaquettes annonçant les expositions de
plasticiens, notamment tourangeaux. Le couple Besse a pu en bénéficier.
Un autre auteur, dont nous aurons
l’occasion de parler cette année, s’est livré au même exercice :
Fresnault-Deruelle.
Comprendre donc ce texte comme une
notice destinée à accompagner une exposition, propre à nous donner, au-delà de
telle ou telle toile, une idée de l’œuvre d’André Besse, à une époque donnée,
mais sans doute aussi de la démarche du peintre... En d’autres termes :
tentative de caractérisation d’une démarche originale.
La disposition du texte n’aura pas
manqué de retenir votre attention. Pouvait-on lui faire un sort ? Sans doute
cette disposition singulière ("centrée" en terme de typographie)
introduit-elle la notion d’écart par rapport à une norme. L’occasion,
peut-être, de relire Jean Cohen (Structure
du langage poétique, Flammarion, 1966). Ce texte est-il un poème ? Ne pas
oublier que, dans le cadre du cours, c’est le texte qui doit faire l’objet du
commentaire, le texte dans sa globalité – et donc aussi bien dans sa facture...
- et non l’œuvre à laquelle il renvoie et sur lequel il s’appuie. Rien ne doit
être négligé. Une réflexion sur l’aspect devait conduire à s’interroger sur le
genre. Cela pouvait fournir de quoi alimenter une partie du commentaire, sans
toutefois se limiter à la simple forme. Nous y reviendrons.
[A ce titre, faire l’expérience de la
lecture du texte présenté sous deux formes distinctes : disposition dans la
plaquette et disposition "prosaïque". Lire dans Cohen, op. cit. p. 72-73]
Comment trouver les deux autres
parties ? Grâce au repérage de champs lexicaux pertinents, par exemple.
Parmi ceux-ci, celui qui s’organise
autour de l’acte de peindre : "peinture", "peintre" (deux
occurrences), "peint", "dépeint", "toile(s) "
(deux occurrences)... "lutte contre les apparences"...
Un autre autour de l’acte de sculpter
: trois occurrences du mot "pierre" avec "pétrifiées",
"sculpteur", "taillaient" mais aussi tous ces mots qui,
outre le mot "pierre", sont du domaine du minéral (généralement noble
ou semi-précieux) : "silex", "bloc de marbre",
"onyx" (variété d’agate), "obsidienne", "gangue"
(cf. diamant dans sa gangue)...
On aura noté que le second champ
(sculpture) est paradoxalement plus riche que le premier comme s’il s’agissait
plus de sculpture que de peinture. C’est que l’art de Besse échappe sans doute
aux repères traditionnels, qu’il est donc difficile à cerner (cf. le recours
aux comparants : "pareil à", "comme"...), que, surtout, le
peintre est un ancien céramiste et qu’il "touche" donc au minéral par
le truchement de l’argile dont la peinture semble avoir gardé le souvenir.
L’argile n’appartient-elle pas au monde minéral... ? Elle est en outre la
substance d’où procède l’homme dans la tradition biblique, et se trouve du fait
même comme "sanctifiée", ou, si l’on préfère, "distinguée"
parmi les matériaux, acquérant, en quelque sorte, une certaine noblesse.
Ambiguïté donc que cette œuvre. Ne
peut-on pas faire de cette idée l’idée directrice d’un premier point de
commentaire ? Peinture ou sculpture ? D’ailleurs le processus évoqué
n’apparente-t-il pas plus l’artiste peintre qu’est Besse à un sculpteur ?
"Saisir le frisson dans la pierre... ", "Besse est pareil au
sculpteur... " Mais la comparaison qui s’esquisse dit bien qu’André Besse reste peintre...( "pareil
à").
On aura relevé aussi l’abondance des
termes renvoyant à la durée plus ou moins explicitement : "patience",
"guetter", "longtemps", "longuement", "avant
de commencer le long, l’infini travail... ", "qui continuera de
vibrer indéfiniment... " Un travail, donc, qui s’inscrit dans la durée.
Nous ne serons pas surpris que ce processus créateur évoqué plus haut soit
situé :
1) par
rapport aux gestes ancestraux du tailleur de flèches de la Préhistoire, flèches
faites à partir du silex, de l’agate ou de l’obsidienne... ;
2) par
rapport au "travail" (au sens "obstétricien" du terme) de
la Nature elle-même... Allusion à ce qui se passe secrètement dans le ventre de
la terre-mère (idée d’un accouchement suggérée = gestation de l’œuvre à naître)
3) pourquoi
pas par rapport au Créateur lui-même (cf. la mention de l’argile d’où sortira
l’œuvre, entre les mains du céramiste).
Tout cela confère à l’œuvre du peintre
Besse une aura, un caractère quasi sacré, une valeur démiurgique (cf. Platon
dans le Timée).
Mais au-delà de l’évocation en somme
toute anecdotique de la naissance de la toile et ses caractéristiques
minérales, et eu égard à la prise de distance via les hommes préhistoriques et les volcans (cf. personnification
: "les plus grands céramistes"), il nous est loisible de lire une
réflexion sur la démarche artistique en général. Laclavetine nous présente un
artiste-artisan auquel rien n’est donné, qui doit conquérir son œuvre sur la
matière, qui doit se mesurer aux choses pour créer (cf. Théophile
Gautier : "Oui, l’œuvre sort plus belle / D’une forme au travail /
Rebelle, / Vers, marbre, onyx, émail."). Il faut conquérir l’œuvre à force
de patience, d’observation et d’expérience. C’est un véritable accouchement qui
nous est donné à voir (cf. l’image des volcans accouchant des cristaux, géodes
et minéraux vitrifiés). Il s’agit pour le peintre de "désincarcérer"
(bien peser l’étymologie du mot qui s’inscrit dans un réseau lexical qui tourne
autour de l’opposition “liberté/prison” dans tous ces groupes antinomiques
repérables dans le texte... "Désincarcérer", "libérer un noyau
d’harmonie". Faire accéder à la vie, en somme, révéler le diamant dans sa
gangue, hors de sa gangue. Le texte insiste plus sur la gestation que sur
l’œuvre finie. L’avant-dernier verbe est "naître" et le dernier,
"persiste". L’artiste révèle aussi, fait accéder à la vérité comme à
la beauté ("lutte contre la apparences", "contre les oripeaux du
sens"). Opposition "apparence/réalité"...
Les idées contenues dans le paragraphe
précédent pourraient, certes, animer la phase d’élargissement de la conclusion
(c’est affaire d’organisation). Il aura auparavant fallu récapituler. Le texte
de Laclavetine est né manifestement de l’impression de tout un chacun devant
les toiles d’André Besse, impression de minéralité, comme si le peintre voulait
rivaliser avec les forces qui aboutissent à la transparence des cristaux (peser
le sens de "dépeindre" = dé-peindre : le terme est de Besse
lui-même). Cette minéralité posée, il s’agit pour Laclavetine de
"montrer" la peinture de Besse grâce aux artifices du langage : "dire"
ou "écrire" sa peinture. Mais le critique sait, me semble-t-il,
rester au service du peintre, à la différence d’autres auteurs qui prennent
l’œuvre comme prétexte à l’expression de leur moi dans un élan discutable de
narcissisme. Montrer que la peinture de Besse, donc - et, au-delà, toute œuvre
d’art -, est œuvre de patience et de travail... Elle est aussi œuvre
d’expérience qui s’inscrit dans une tradition séculaire, voire millénaire (il
faut même, à vrai dire, parler en ères !), à l’image des extraordinaires
transformations opérées avec quelque mystère au sein de la Nature.
Pour votre commentaire, deux plans
possibles de détachent avec assez d’évidence des remarques précédentes :
1) De l’"ambiguïté"
intrinsèque de la peinture d’André Besse.
2) Une œuvre inscrite dans une tradition
millénaire et à l’image des réalisations de la Nature opérées sur des millions
d’années.
3) Au-delà de l’évocation
"anecdotique" : une réflexion sur le processus créateur...
A moins qu’on ne préfère pour le
dernier point un développement sur le genre ou la nature du texte.
3) bis : Le texte de J. - M.
Laclavetine : un poème ?
Un genre hybride, peut-être (qui
répondrait, finalement, à l’ambiguïté de l’œuvre de Besse) : prose et vers ?
Prose poétique, en tout cas.
On aura été sensible à la présentation
du texte : 28 lignes inégales (image de la sédimentation minérale comme
l’une d’entre vous l’a suggéré !) qui pourraient passer pour des vers libres
non rimés pour ce texte au demeurant bien construit, articulé sur une reprise
anaphorique du nom de Besse (l. 2, 6, 14, 19, 25). Ecart par rapport à une
norme dans la disposition, certes, mais repérable à d’autres niveaux, notamment
syntaxique : phrase nominale d’ouverture ("Peinture, art de
patience") avec ellipse du verbe ; autre ellipse aux lignes 2 & 3
("ni la beauté" mis en valeur par son isolement). Disposition et
ellipses génératrices d’un rythme (cf. expérience de lecture à haute voix faite
au début du corrigé). Irons-nous jusqu’à repérer assonances et allitérations ?
Peut-être l. 5 : [a], [s], [R] ou l. 7 : "contemplant longuement [...], se
mesurant à lui", où le vers (!)
semble étiré par le redoublement des nasales. Mais il faut être très prudent
sur ce chapitre !
On pourra remarquer aussi le travail sur la binarité (écho possible de l’ambiguïté !). Quelques exemples : "la vérité n’est pas donnée au peintre, / ni la beauté" ; "le long, / l’infini travail" ; "travail de désincarcération, / lutter contre les apparences" ; "contre les apparences, / contre les oripeaux du sens" ; "André Besse ne peint pas, / il dépeint" ; "la gangue du visible et du prévisible" ; "les pentes du Vésuve et de l’Etna" ; "les premiers et les plus grands céramistes" ; "veinées d’onyx et d’obsidienne"... Cette caractéristique stylistique pouvant être comprise comme un écho à la difficulté relative à saisir l’œuvre de Besse, toujours située par rapport à autre chose que décrite en elle-même. On remarquera que, curieusement, Fresnault-Deruelle éprouve le besoin, lui aussi, dans un texte inédit qu’il consacre au même peintre, de faire référence à un au-delà de la peinture de l’ami en évoquant la référence chinoise, lui permettant, du même coup de faire allusion à la "sagesse" de l’artiste (Laclavetine dit de son côté que le peintre "sait", l. 2 et 20) :
[…] l’œuvre d’André Besse repose sur le fading, à savoir cet effet de brouillage où le "dépeindre",
retirant de sa substance à la pâte, retrouve la simplicité conquise des maîtres
de l’ancienne Chine. L’estompage, mais aussi le registre chromatique étroit dans
lequel s’inscrit l’artiste ne sont pas, de fait, sans lien avec une certaine
peinture confucéenne ou taoïste. Non qu’André Besse ait été particulièrement
marqué par les paysages de l’époque Ming, par exemple, mais sans doute parce
que, comme pour les artistes de l’Empire du Milieu (toutes choses par ailleurs
égales), l’atténuation des contrastes, voire leur quasi extinction, constitue
le seul registre compatible avec la posture du détachement.
(Notes communiquées par l’artiste)
© Pascal Bergerault. Sauf mention
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