Un extrait de La Fille aux yeux d’or de Balzac
(éléments de
corrigé)
Ecouter, éventuellement, pour la situation de la nouvelle et ses enjeux, deux documents audio disponibles sur Internet :
http://193.50.148.17/RALowQ/AIX0000077.ra
http://193.50.148.17/RALowQ/AIX0000078.ra
Université
de Provence / Joëlle Gleize (cours d’une vingtaine de minutes environ)
On lira
ci-dessous, à propos de l’exercice demandé (commentaire composé d’un extrait de
La Fille aux yeux d’or de Balzac), un
exemple d’introduction - légèrement remaniée - trouvé dans une copie
d’étudiante. Il s’avère que les conseils donnés tout au long de l’année ont
porté leurs fruits et que, d’une manière générale, cette fois-ci, les
introductions au commentaire composé sont assez satisfaisantes, du moins pour
ce qui est des deux premières phases. En ce qui concerne l’annonce du plan, les
choses laissent très souvent à désirer, dans la mesure où vous n’avez pas
forcément su choisir les axes les plus pertinents pour rendre efficacement
compte du texte.
Il va sans dire
- et compte tenu de la problématique de notre parcours de cette année ("La
peinture au risque de la parole") - qu’il était impossible de commenter l’extrait sans mentionner, à un moment ou à un
autre, la probable influence de Delacroix sur Balzac (nouvelle d’ailleurs
dédiée au peintre) et, en particulier, de certains de ses tableaux :
Femme
caressant un perroquet (1827), Femmes
d’Alger dans leur appartement (1834), mais aussi : La
Femme aux bas blancs (1827-1832) et diverses Odalisques
(1827
et 1857),
ainsi que La
mort de Sardanapale (bien que cette dernière toile, également
de 1827, n’ait lieu d’être abordée qu’à propos de la fin de la nouvelle -
cf. troisième partie : "La force du sang" - et non à propos
de l’extrait retenu).
Toutefois, il ne fallait pas réduire la page de Balzac à une simple
transposition d’art comme certains d’entre vous ont été tentés de le faire. Ne
devait pas vous échapper, par ailleurs, l’exotisme orientalisant de la page,
son organisation en deux paragraphes caractérisés mais complémentaires (la
description d’un boudoir conçu comme une sorte d’écrin à ce "chef-d’œuvre
de la création" qu’est Paquita, femme sensuelle désirée par de Marsay. Il
fallait encore – Balzac oblige – montrer la corrélation existant entre le
milieu – ou le décor – et le personnage y évoluant… On n’avait finalement que
l’embarras du choix pour arrêter deux ou trois pour le commentaire. Voici, à
grands traits, un plan possible :
1)
Une
description placée sous le signe de l’Orient : "invitation au
voyage" ; occasion de relever tout ce qui touche à l’exotisme
oriental de la page, de montrer aussi l’influence de Delacroix et de certains
de ses tableaux orientalistes (le référent pictural, la gageure balzacienne de
"rivaliser" avec le peintre…). Ecrire la peinture ?
2)
Du
réalisme au symbolisme : occasion de montrer en quoi le détail, dans son
traitement particulier, permet d’accéder au symbole et d’annoncer la rencontre
amoureuse qui suivra. "Réalisme transcendé par la symbolique du monde
représenté", ai-je pu lire dans une copie.
3)
Une
rencontre amoureuse (du moins son prélude) : le "Viens Paquita"
lourd de promesses ; le lieu décrit comme invitation à l’amour ; situation
du passage - puisque les mots du texte y invitent - par rapport à la précédente
entrevue, pour en apprécier l’originalité et la charge érotique. "Luxe,
calme et volupté…" Rôle du passage dans le roman, etc.
La préface de Rose Fortassier pour l’édition Gallimard de 1976 (réédition
en collection "Folio") constituait un précieux outil aussi bien pour
introduire que pour alimenter le commentaire, en complément de ce que vous
pouviez y mettre. Vous y reporter. Voir notamment le passage consacré à la
probable influence du peintre Delacroix (p. 38-39). Voir aussi l’édition
Garnier Flammarion et l’étude de Michel Lichtlé.
Exemple d’introduction d’étudiant légèrement remaniée (les deux premières
phases seulement)
* Honoré de Balzac est un écrivain français né à Tours
en 1799 et mort à Paris en 1850. Il est l’auteur d’une centaine d’ouvrages dont
plus de 80 romans et nouvelles. La majeure partie de cette œuvre considérable,
réunie sous le titre général de La Comédie Humaine,
représente une somme unique dans notre littérature. Chaque œuvre garde son
autonomie dans cet ensemble qui ne sera définitivement structuré qu’en 1845.
L’auteur en établit alors les trois grandes divisions : Etudes
analytiques, Etudes philosophiques et Etudes de mœurs. Les Etudes de mœurs couvrent
à elles seules près des trois-quarts de La Comédie Humaine et se subdivisent en six grandes parties.
Nous allons nous intéresser plus particulièrement, par le biais de La Fille
aux yeux d’or, aux "Scènes de la vie
parisienne" qui décrivent un univers tumultueux, une métropole agitée par
les luttes que se livrent des ambitieux de tout poil, une métropole tyrannisée
par ces nouvelles puissances qui ont pour nom Bourse, Politique et Presse, le
tout constituant un terrain d’observation privilégié et qui inspirera à Balzac
quelques chefs-d’œuvre dont l’Histoire des Treize écrite entre 1833 et 1835, regroupant Ferragus, La Duchesse de Langeais et La
Fille aux yeux d’or. "L’Histoire
des Treize est l’histoire de treize hommes
d’élite mais sans scrupules, unis […] par les liens sacrés d’une commune
énergie et d’un pacte d’assistance mutuelle absolue en une société secrète,
capable de se soumettre la société entière" (Michel Lichtlé). Nous
assistons, vers la fin du premier chapitre de La Fille aux yeux d’or – nouvelle qui nous retiendra pour notre
commentaire – et à l’occasion d’une promenade, à une furtive rencontre entre
Henri de Marsay et Paquita Valdès, "la fille aux yeux d’or", jeune
femme convoitée et apparemment inaccessible. Après avoir usé d’un stratagème,
de Marsay parvient à la voir plus longuement, un soir, chez elle. Mais cette
trop brève entrevue ne se termine pas de façon satisfaisante. L’extrait que
nous nous proposons d’étudier se situe à la fin du second chapitre, le
lendemain soir : c’est leur second rendez-vous…
Outre la présentation de Rose Fortassier déjà évoquée, on lira encore avec profit - notamment pour ce qui est de l’influence de Delacroix (essentiel) - la notice figurant p. 251-252 de l’ouvrage édité par le Musée des Beaux Arts de Tours à l’occasion de l’exposition "Balzac et la peinture" (29 mai-30 août 1999). A toutes fins utiles, en voici la transcription littérale.
Hirschfell 1946, p. 114 ;
Cain 1950, p. XIII ;
Vincent 1956, VII, p. 40 ;
Pierrot 1962 (Corr. II), p. 810 ;
Fortassier 1977, p. 784, 1530, nl.
Au moment où Balzac annonçait La Fille aux yeux d'or (sous son premier titre La Femme aux yeux
rouges) dans la postface de la première
édition de l’Histoire des Treize (1833), Delacroix venait de lui écrire une longue lettre qui montrait
son admiration pour Louis Lambert.
L'écrivain et le peintre s'étaient rencontrés durant le premier hiver mondain
de Balzac 1829-1830), mais R. Fortassier reprend l'hypothèse qu'ils se connaissaient
peut-être depuis 1824 grâce à Raisson, ancien condisciple du peintre. La
Femme au perroquet (1827) et La
Femme aux bas blancs (1827-1832, musée du Louvre) d'inspiration
très proche figurèrent en 1832 à l'exposition de la galerie Colbert organisée
au profit des victimes du choléra. Ces œuvres
attirèrent les louanges de Théophile Gautier, qui les compara à un
"bijou de couleurs". Selon toute vraisemblance, Balzac a dû les
voir sur le conseil de son ami. Son admiration pour Delacroix remontait au
Salon de 1824, où il avait remarqué l'un des premiers envois du peintre, les
Scènes des Massacres de Scio, citées
en 1839 dans Pierre Grassou : Balzac
évoque alors "les injures prodiguées à Delacroix". L'émeute des
jeunes enthousiasmes et l'horreur sacrée des classiques provoquées par cette
œuvre puis, en 1827, par l'audacieuse Mort
de Sardanapale se retrouvent
dans les débuts de la carrière de Bridau. Dès 1829, La Maison du chat-qui-pelote
met en scène un artiste dandy qui évoque déjà
Delacroix. En 1830, Balzac publie Une passion dans le désert dans La Revue de Paris et, en 1832, se propose de peindre dans une
nouvelle "l'intérieur d'un harem" qui prendrait le titre d'Une
passion dans le sérail, mais ne sera
jamais publiée [1]
.
Le peintre et son œuvre hantent désormais La Comédie humaine. La Fille aux yeux d’or ne
fut dédicacée à Delacroix qu'en 1843 dans l'édition Furne, mais le roman,
dont le premier chapitre parut en 1834 et les deux derniers en mai 1835, est
imprégné des visions romantiques du peintre. La couleur opulente, son interaction
avec la lumière, son symbolisme, la sensualité pure choisie pour sujet, l'érotisme
lié à l'Orient, jusqu'à la description picturale du boudoir de Paquita, sa
présentation théâtrale et la symphonie de rouge et d'or, enfin la scène d'orgie
finale du meurtre perpétré dans un déluge de sang, tous ces éléments imposent
l'idée que le roman fut inspiré par l'œuvre orientaliste de Delacroix. On
sait aussi la profonde impression que firent sur Balzac Les Femmes
d’Alger au Salon de 1834,
qui, selon O. Bonard, permit à son génie oriental de prendre un nouvel essor
dans La Fille aux yeux d'or.
Plus précisément,
La Femme au perroquet apparaît à maintes reprises en filigrane dans le roman. Le leitmotiv "or
et plaisir" scande l'ouverture du récit où l'esclave Paquita, avec ses
yeux d'idole, procurera toute la joie des sens. Thèmes et couleurs se fondent
dans un texte construit comme un tableau dont l'architecture mystérieuse se
dévoile peu à peu. L'univers intime et fantasmatique de la peinture de l'odalisque
de Delacroix est, sans nul doute possible, une source majeure du romancier
qui "se montre ici le disciple
et l'émule du peintre [2]".
G. Hirschfell en 1946, J. Cain et R. Pierrot en 1950 ont
affirmé cette thèse de l'influence de La Femme au perroquet sur La Fille aux yeux d'or ainsi
que R. Fortassier en 1977 pour laquelle "le souvenir de Delacroix, dont
Balzac admire La Femme au perroquet et Femmes d’Alger dans leur appartement, imprime aussi à l'œuvre une unité de dessin et de ton. Dans les trois
scènes ou tableaux qui mettent en présence les deux amants [...] on peut déjà
reconnaître des profils à la Delacroix dans le groupe du beau cavalier de
Marsay, de la belle odalisque et de la vieille sibylle, réunis dans le salon
rouge et vert [3]."
Le rapprochement a également été signalé par M. Vincent en 1956 dans sa notice
sur l'œuvre pour le catalogue du musée de Lyon. Lorsque de Marsay compare
Paquita à "l'original de la délirante peinture appelée la femme caressant
sa chimère [4]", dont Balzac a lu la description dans
Fragoletta de Latouche ("que
de grâces dans l'attitude et particulièrement dans les bras de cette femme
! "), c'est La Femme au perroquet qui
semble désignée. Pour la première rencontre dans le boudoir, c'est aussi avec
l'attention du peintre disposant des étoffes précieuses derrière son modèle
que le romancier tapisse les murs, accumule les coussins et déroule les tapis,
tandis que Paquita apparaît comme la réplique littéraire de l'odalisque peinte
: "Les chatoiements de la tenture, dont la couleur changeait suivant
la direction du regard, en devenant ou toute blanche, ou toute rose, s'accordaient
avec les effets de la lumière qui s'infusait dans les diaphanes tuyaux de
la mousseline, en produisant de nuageuses apparences. L'âme a je ne sais quel
attachement pour le blanc, l'amour se plaît dans le rouge, et l'or flatte
les passions, il a la puissance de réaliser leurs fantaisies. Ainsi tout ce
que l'homme a de vague et de mystérieux en lui-même, toutes ses affinités
inexpliquées se trouvaient caressées dans leurs sympathies involontaires.
Il y avait dans cette harmonie parfaite un concert de couleurs auquel l'âme
répondait par des idées voluptueuses, indécises, flottantes. Ce fut au milieu
d'une vaporeuse atmosphère chargée de parfums exquis que Paquita, vêtue d'un
peignoir blanc, les pieds nus, des fleurs d'oranger dans ses cheveux noirs,
apparut à Henri agenouillée devant lui [...]. En apercevant, au milieu de
ce réduit éclos par la baguette d'une fée, le chef-d'œuvre de la création,
cette fille dont le teint chaudement coloré, dont la peau douce, mais légèrement
dorée par les reflets du rouge et par l'effusion de je ne sais quelle vapeur
d'amour, étincelait comme si elle eût réfléchi les rayons des lumières et
des couleurs, sa colère, ses désirs de vengeance, sa vanité blessée, tout
tomba. Comme un aigle qui fond sur sa proie, il la prit à plein corps, l'assit
sur ses genoux, et sentit avec une indicible ivresse la voluptueuse pression
de cette fille dont les beautés si grassement développées l'enveloppèrent
doucement. ‘Viens, Paquita ! dit-il à voix basse.’
[5]"
Les couleurs dominantes sont le rouge, l'or, le noir et
le blanc, déclinées en une infinité de nuances délicates et changeantes selon
les matières, l'éclairage mais aussi au gré des émotions ressenties par de
Marsay : marbre blanc et or, cachemire blanc, soie noire et ponceau, tenture
rouge voilée d'une arachnéenne mousseline des Indes sous laquelle le ponceau
devient rose, rideau en taffetas rose, lustre en vermeil mat étincelant de
blancheur, fleurs roses, blanches et rouges, "dans l'étrange boudoir
de San-Réal, les couleurs changent en fonction des états d'âme [6]". Si La Fille aux yeux d'or est un "roman pictural" écrit en hommage à Delacroix, ce boudoir
fantasmagorique aux tonalités tour à tour violentes, subtiles et mouvantes,
expressions des passions, apparaît un éblouissant écho de La Femme au
perroquet.
------------
[1]
Voir Bonard 1969, p. 158, et Citron, in AB 1968, p. 303-336.
[2]
Fortassier 1977 : Introduction à La Fille aux yeux d'or, Pléiade, VI, p. 784.
[3]
Ibid.
[4]
La Fille aux yeux d'or, op. cit., p. 1065.
[5] Ibid. p. 1088-1089.
[6]
Hirschfell 1946, p. 114.