Un
extrait de L’Art du XVIIIe
siècle
des
frères de Goncourt (1860)
Suggestions
pour rendre compte du texte sous la forme d’un commentaire composé ou d’une
lecture méthodique
On
a affaire à un extrait de l'Art du
XVIIIe siècle des Goncourt. Il s'agit là, plus précisément, du
tout début de l'étude consacrée à Watteau. On pourra légitimement parler d'"ouverture" au sens musical que le terme
pouvait avoir au XIXe siècle : condensé du drame à venir, résumé
thématique…
Il
s'agit d'une réhabilitation :
Watteau a sombré dans l'oubli ; décote de ses œuvres…
Un
éloge : caractère hagiographique du
texte
Une
invitation à un parcours assez exhaustif de l'œuvre
(avec allusions parfois précises à des œuvres précises, témoignant d'une
connaissance approfondie de l'œuvre peint et de l'œuvre
gravé).
Songer
à parler aussi de l'écriture
artiste.
Evocation de l'œuvre "bicéphale"
des frères de Goncourt en dégageant rapidement les grands traits de leur parcours
esthétique et littéraire :
-
Leur
première vocation : peinture et dessin.
-
Rôle
de premier plan dans l'évolution du roman du XIXe siècle (démarche
réaliste, voire naturaliste : scrupuleuse documentation ; influence sur
Zola découvrant sa vocation en lisant Germinie Lacerteux.
-
Une
passion pour le XVIIIe siècle dans lequel ils se retrouvent. On
citera quelques titres éloquents : La
société française pendant la Révolution (1854) ; Portraits intimes du XVIIIe
siècle (1856) ; Madame du Barry
(1860) ; La femme au XVIIIe
siècle (1862) ; L'art du
XVIIIe siècle (1859-1875) ; Madame de Pompadour (1878)…
Suggestion
d’un plan pour le développement (le plan doit être annoncé dans la troisième
phase de l’introduction) :
1) Une
réhabilitation de Watteau (texte à caractère hagiographique) ou bien : Le texte comme "ouverture"
2)
Un
suggestif raccourci de l'œuvre de Watteau nous est donné à
voir
3)
L'écriture
artiste au service du peintre
Développement
(sous forme de plan plus ou moins détaillé selon les
parties)
(les
titres en bleu
surligné
permettent d’accéder aux œuvres)
q
Une
réhabilitation de Watteau (texte à caractère hagiographique) :
§
Les
Goncourt vont réhabiliter, avec d'autres, les peintres du XVIIIe
siècle et, en particulier, le plus grand d'entre eux :
Watteau.
§
Le
texte consiste, en quelque sorte, à célébrer le culte de… "Saint Watteau" ! Cf.
étymologie de "hagio/graphie" : "écrire sur les saints".
§
Watteau
par ailleurs comparé à de grands artistes : Véronèse, Parmesan…
Cf.
aussi Shakespeare.
§
Il
conviendra de mettre en évidence le lexique et la syntaxe de l'éloge dans le
texte. Cf. "le grand poète"
(poète : terme générique, ici (= créateur), qui déborde l'acception propre)
; "Œuvre" ; "génie" ; "mille
féeries" (hyperbole) ; structure ternaire, très souvent (emphase)… Phrases
nominales vocatives (Ô… !). Noter aussi, dans les § 4 et 5, notamment, la
présence récurrente des "!" . Enumérations dont certaines ponctuées par le
coordonnant "et". Un lexique riche, une syntaxe recherchée. Mais ne pas trop en dire pour garder
quelques idées pour l'évocation de l'écriture artiste dans le 3e
point D'où, préférer,
peut-être, un autre premier point : l’extrait pouvant être perçu comme
"ouverture", au sens musical du terme.
q
Un
autre 1er point possible : Le texte comme ouverture
:
§
Début
du livre.
§
Exposition
des grands thèmes qui seront repris par la suite dans l’ouvrage de 1860 : la
grâce, la femme, le décor des fêtes galantes, la commedia dell'arte. Texte
microcosme…
§
Suggestion
d’une ambiance.
q
Un
suggestif raccourci de l'œuvre de Watteau :
(On
pourra se rendre à l’adresse suivante : http://www.abcgallery.com/W/watteau/watteau.html
qui propose 65 tableaux du peintre. On peut aussi cliquer sur les titres ci-dessous
pour accéder à certaines œuvres)
§
Evocation
d'une atmosphère, notamment avec le § 4 qui parle du
décor.
§
Mais
on reconnaît, en filigrane, des tableaux précis :
-
Le
1er paragraphe semble s'inspirer du Rêve
de l'artiste (p. 271
du Catalogue de l'exposition 84/85
; coll. privée Grande Bretagne). Lire l'analyse. Cf. Tout l'œuvre peint (p. 120). Cf. rêve
de Polyphile et Shakespeare (Le Songe
d'une nuit d'été / The Fairy Queen
de Purcell)
-
Les "gammes d'amour" renvoient, incontestablement,
au tableau : La
Gam[m]e d’amour (pl. VII de Tout l'œuvre peint, Flammarion = TLP ; Londres, National Gallery)… mais
le pluriel nous invite à en chercher d'autres : Récréation
italienne (pl. XV de TLP ; Berlin), La
Perspective (Boston), Récréation
galante (p. 115, n° 173 de TLP ; (Berlin), L’Enchanteur
et L’Aventurière
(pl. VI A et B de TLP ; Troyes).
§
Chaque
détail du texte trouve
en fait son origine dans telle toile de Watteau, jusqu'à ces "talons dépassant
des jupes" qui laisseront aussi une trace chez Verlaine (poème n° VII, "Les
ingénus" de Fêtes galantes). Par
ailleurs :
-
"villages
égayés de noces et de carrosses" fait songer à La Mariée de village (Cat. cit. p 267) ; au Contrat
de mariage (Cat.
p. 268)
-
"où monte
la Comédie-française, où gambade la Comédie-Italienne" nous renvoie aux Comédiens
italiens, à L’Amour
au théâtre français et à son pendant, L'Amour
au théâtre italien.
-
la
"Folie encapuchonnée" trouve également son origine dans certains tableaux : cf.
détail des Comédiens italiens, La Sérénade italienne, L'Amour au théâtre français montrant
tous les trois, avec ou sans marotte en main, le fou
Momus.
-
"famille
bariolée vêtue de soleil et de soie
rayée", nous ramène, pour l'habit, au Mezzetin
(TLP pl. LVI).
-
"Pierrot,
les bras au corps, droit comme un I" est une allusion, on ne peut plus claire,
au Gilles
actuellement conservé au Louvre.
-
"le gros
brun au visage riant" : même s'il est malaisé de repérer un rire sur le visage
de l'ami qui pose (Sirois ?), le détail de "la toque fuyant du front"
me paraît assez explicite (cf. Sous
un habit de Mezzetin).
Et l'on
pourrait multiplier les exemples… Sous
la plume des Goncourt, c'est tout le monde de Watteau qui
revit.
q
L'écriture
artiste au service du peintre et de sa peinture
§
Faire
"vrai" en faisant "beau". Tel est le but avoué des frères Goncourt. On trouvera
dans la préface des Frères Zemganno
de précieuses idées sur l'écriture artiste. Voir aussi le livre de Pierre
Sabatier, l'Esthétique des Goncourt,
1970.
§
Le
style des Goncourt met en œuvre une rhétorique - au sens large - un peu
passéiste qui doit rester au service du réalisme : susciter le concret par
l'"épithète rare", créer "la plus vive impression du vrai humain"… Tout cela
aboutit, la plupart du temps, à une surcharge qui manque de naturel, les
"délicatesses" ne s'accordant pas toujours au sujet.
§
Mais
il faut se poser la question pour ce qui est de l'évocation de Watteau et
de son œuvre, et se demander, finalement, s'il n'y a pas, là, adéquation.
La réponse à cette question passe par un relevé minutieux et par un classement
(classement que je ne fais pas, vous laissant ce soin). En vrac, donc :
-
Usage
du rythme ternaire de façon assez systématique :
ž
"De
la fantaisie de sa cervelle, / de son caprice d'art, / de son génie tout neuf"
ž
"Un
charme rigoureux et solide / la perfection de marbre de la Galatée / la
séduction…"
ž
"Qui
habille la femme d'un agrément / d'une coquetterie / d'un beau au-delà du beau
physique" (avec une amplification : 4 + 6 + 9).
ž
"touchés
du pinceau… / rafraîchis de fontaines, / peuplées de marbres et de
statues…"
ž
"La
toque fuyant du front zébrée de haut en bas / fier comme un dieu / et gras comme
un Silène"
-
Reprise
oratoire : "Une création, toute une création…" ; "Une féerie, mille féeries…"
avec hyperbole
-
Effet
de chiasme : "Watteau a renouvelé la grâce. La grâce chez Watteau…"… avec reprise anaphorique des
mots ici comme là
-
Phrases
morcelées à l'excès (écriture impressionniste ?), syntaxe ciselée,
recherchée… (cf. la dernière phrase du 1er §)
-
Enumérations
/ accumulations de phrases nominales (cf. § 3) avec juxtapositions ou
coordinations pour rompre la monotonie engendrée
-
Ruptures
syntaxiques : "et, cette grâce, si Watteau l'admire"
-
Parallélisme
de construction (avec ellipse) : "Quel décor a la femme / a la
grâce"
-
Paronomase
: "de ronces et de roses" (avec causalité sous entendue) Notez l'alexandrin au
passage = vers blanc : ”jardins embuissonnés de ronces et de
roses” !
-
Métaphore
recherchée : "sourires de la ligne"
-
Raffinement
lexical (cf. ”l'épithète rare”) : "embuissonnés" ;
"gracieusé"…
Ce
style pourra être perçu comme un équivalent littéraire de la peinture du
XVIIIe siècle. Tout se passe comme si les Goncourt cherchaient, dans
la forme, à coller le plus possible au sujet dont ils traitent. Ecrire la
peinture de Watteau !
Conclusion
On
a finalement avec ce texte un exemple de l'efficacité de l'écriture artiste,
dans la mesure où elle se trouve ici en plein accord avec le sujet dont elle
traite et dont elle semble vouloir épouser les caractéristiques. Ecriture
rococo ? Loin de desservir le peintre qu'ils veulent nous faire découvrir,
les Goncourt nous invitent en outre à une véritable promenade dans l'œuvre,
sans en omettre aucun recoin. Ce faisant, ils nous communiquent leur enthousiasme
dont on a pu relever les marques et ils tendent à emporter notre adhésion.
Sans les Goncourt, il est probable que Watteau serait resté encore longtemps
dans l'ombre, que Verlaine n'aurait point écrit ses Fêtes galantes ni, a fortiori, Debussy,
Fauré, écrit les chefs d'œuvre que l'on sait à partir de nombre de poèmes
du célèbre recueil de 1869.
© Pascal Bergerault.
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