Olivier CENA : "Cachez ce verre…" (Doc. n° 13)

Introduction rédigée et suggestion de plan

 

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Quelques précisions : Olivier Cena est un chroniqueur de Télérama, chargé de la rubrique des expositions picturales. Le texte à commenter se réfère très précisément au tableau La Jeune fille au verre de vin (1662, 78 x 67, Herzog-Anton Ulrich Museum, Brunswick). Il est extrait du numéro hors série consacré à Vermeer (T 2096), à l'occasion de la grande rétrospective de 1996 à la Haye. Voir d’autres tableaux de Vermeer, proches pour ce qui est de la thématique : Le verre du vin (1660-1661, 65 x 77, Berlin Dahlem), Soldat et Jeune fille souriant (1658, 50,5 x 46, Frick Collection, New York)… On pourra aussi se reporter utilement aux notes relatives au document n° 10.

 

 

A. Exemple d’introduction rédigée

 

 

J’attire votre attention, au moyen d’un trait rouge transversal ( / ), sur la délimitation des trois phases obligées de toute introduction de commentaire composé/lecture méthodique.

 

*

 

            L’Œuvre de Vermeer, après avoir été négligée - voire oubliée - durant deux siècles, suscite de nos jours une passion peu commune dont une récente rétrospective à la Haye (1996) apporte un brillant témoignage. On a vu que Proust et le critique qui lui révéla l’existence de Vermeer ne sont pas étrangers à cette redécouverte d’un peintre génial qui ne nous a laissé, en tout et pour tout, qu’une trentaine de tableaux – peut-être trente-six – qui comptent parmi les plus grands chefs-d’œuvre de la peinture occidentale et de la peinture tout court. / Nombreux sont les ouvrages qui ont vu le jour à l’occasion de l’événement, nombreux également les colloques, conférences, articles variés qui ont tenté de nous rendre plus familier ce peintre énigmatique dont nous savons finalement si peu de chose. Parmi toutes les parutions, on voudrait distinguer le numéro “hors série” de l’hebdomadaire Télérama  (T 2096) qui propose, entre autres articles, un ensemble intitulé “Vingt-trois regards sur trente-six toiles”. Ce “titre clin d’œil”, si j’ose dire, fait songer aux Vingt regards sur l’enfant Jésus du compositeur Olivier Messiaen, bien sûr, et c’est assez dire avec quelle ferveur, Laurent Boudier, Anne Gorouben, Jean-Marc Tingaud, Valérie de Givry…, Anne-Marie Paquotte, Sylvie Germain, Charles Matton, Alain Avila - pour ne citer que quelques chroniqueurs regroupés autour d’Olivier Cena -, s’emploient à “regarder” l’Œuvre entier du maître de Delft. / C’est précisément d’un texte d’Olivier Cena que nous voulons rendre compte dans le commentaire qui va suivre. Nous y verrons, en un premier temps, en quoi le texte n’est autre, en fait - mais sans atteindre nécessairement à l’ekphrasis -, qu’une description assez exhaustive de La Jeune fille au verre de vin de Vermeer, tableau dont le critique sait rendre, par ailleurs, toute l’ambiguïté, au fil de son évocation, sans oublier d’en dégager la dimension morale - la peinture se voyant confier une mission comparable à celle assignée au théâtre du XVIIe siècle par un Molière, par exemple, d’ailleurs présent en filigrane grâce au judicieux détournement d’une des plus célèbres répliques du Tartuffe, comme nous aurons l’occasion de le montrer.

 

 

B. Proposition de plan

 

 

q       La transposition littéraire d'une peinture ?

 

§         Description exhaustive d’un tableau : La Jeune fille au verre de vin de Vermeer :

-          Les personnages : une femme (laide) buvant, deux hommes dont l’un l’incite à boire…

-         Le décor : carrelage, lumière venant d’une fenêtre, à gauche, tableau sur le mur …

-         … jusqu'aux plus infimes détails : une nature morte comportant plat d’argent et agrumes, pichet de faïence, feuille de papier…

 

§         Recréer une atmosphère (un intérieur bourgeois) :

-          Au moyen de la description minutieuse, précisément…

-          …toutefois un lexique et une syntaxe sobres (sujet, verbe, adjectif attribut ou complément ; phrases courtes…).

-          L'anecdote sous jacente : une scène de séduction (un homme courtise une femme ; un autre rêvasse). A vrai dire sait-on bien qui ils sont ? ce qu’ils font  ?

 

q       Une toile polysémique/ambiguë

 

§         Entre certitudes et incertitudes :

-          Certitudes : "elle est laide" ; "elle est volontairement laide" ; "L'homme l'entraîne en racontant des grivoiseries" ; "Elle terminera dans son lit"…

-          Incertitudes : recours à l’imagination pour évoquer la toile ; extrapolations ; la toile “phantasmée”.

-          Oranges ou citrons ? Blague à tabac ? Lettre ? De quelle nature ?

-          Présence des nombreux "?" (7 occurrences) et des expressions et mots exprimant également l’incertitude : "sans doute", "peut-être", "que l'on pourrait", "semble dire"… (plusieurs occurrences).

 

§         Cena en phase, dans ses hésitations et sa prudence, avec ce tableau énigmatique et les interprétations divergentes qu’il a suscitées (se référer aux notes correspondant au document n° 10 pour les titres des ouvrages évoqués ci-dessous) : mais une scène de séduction dans tous les cas.

-          Lire Schneider (Taschen) p. 33. L’homme, au centre, invite la jeune fille à boire et semble servir d’entremetteur à l’homme assis à l’arrière plan. Il prépare une relation amoureuse clam et absente marito ("secrète et en l’absence du mari") comme on lit dans les traités juridiques de l’époque, parlant de l’adultère. Le portrait, sur le mur, représente sans doute le mari (absent de la réalité, mais présent et vigilant dans le tableau) dont le regard n’est pas par hasard dirigé vers la jeune femme. Rappeler que le verre de vin est censé relâcher la résistance. A vrai dire la boisson n’est pas nécessairement du vin. Peut-être un philtre d’amour (poculum amatorium) souvent mentionné dans les livres de médecine du XVIIe siècle. Deux sortes d’effets : soit amour extrême et insensé, soit mélancolie paralysante. L’homme, à l’arrière plan, pourrait en avoir déjà bu de son côté. Le citron épluché (?) serait destiné à atténuer l’effet du philtre.

-          Lire Catalogue de l’exposition rétrospective de 1996, p. 114.  Au fond, un jeune homme mélancolique appuie sa tête sur sa main. Un autre homme attentionné incite une jeune femme à boire : sourire de l’ébriété qui laisse entendre qu’elle a cédé aux instances. Scène manifestement empruntée à Pieter de Hooch (Intérieur avec femme buvant, Londres, Femme buvant avec deux soldats, Louvre). On note dans ce dernier tableau la présence d’un tableau au mur (tableau dans le tableau : clavis interpretandi) représentant le Christ et la femme adultère (Jean, 8, I-II), et dispensant une morale : "que celui qui est sans péché lui jette la première pierre ! " On fera donc un sort au vitrail de la fenêtre (tableau dans le tableau aussi bien) qui laisse voir une figure allégorique de la Tempérance, également présente dans Le verre de vin où ce vitrail tient aussi lieu de commentaire moral et de mise en garde face à la scène représentée. Dans les deux cas, le peintre joue sur le contraste entre le tableau et la scène qui nous est donnée à voir. Selon le même commentateur, l’homme qui se trouve derrière la table a succombé aux effets narcotiques du tabac. Vermeer a placé un portrait austère entre les deux hommes, chacun étant plongé dans sa propre recherche du plaisir. L’artiste montrerait là encore une de ses préoccupations majeures en fustigeant le manque de retenue de l’homme (et de la femme) dans la société contemporaine.

-          Lire Bonafoux p. 53. Cet auteur note aussi la parenté avec Le verre de vin. L’intrigue amoureuse se joue selon lui à trois personnages : le couple, d’une part, réuni autour du verre et, dans un angle, au second plan, le prétendant qui vient d’être repoussé par la belle et dont la contrariété est apparente.

 

q       Au nom de la Morale

 

§         Une démonstration implacable :

-          Champ lexical de la moralité : donne une teneur du texte (faire un relevé).

-          Enchaînement logique et inéluctable des propositions et des phrases : elle fait ceci qui entraîne ceci qui entraîne cela…

 

§         "Cachez ce verre que je saurais boire…" 

-          La référence au Tartuffe de Molière et son détournement (cf. “Couvrez ce sein que je ne saurais voir” , acte III, sc. 2, v. 860) : jeu de mots doublé d'une paronomase ("boire"/"voir" = [bwar]/[vwar]), qui introduit les concepts d'hypocrisie et de société hypocrite, et , plus subtilement, le personnage d'Orgon, mari absent/présent d’Elmire courtisée par l’imposteur (sous la table, pendant la scène de séduction qui lui dessille les yeux) : cf. le personnage peint sur la toile au mur (mari absent ?) ; "cachez ce verre" = "cachez/couvrez ce sein". Il est bien question de désir et de péché.

-          Catharsis : parallèle avec le théâtre qui permet  la purgation des passions. Montrer les conséquences de l'alcool sur la beauté de la femme de manière à amener celui/celle qui regarde à se corriger, d'autant plus que le regard de la femme/jeune fille est tourné vers nous et nous implique (le jeu des regards serait d'ailleurs à étudier : quel sens donner au regard de la jeune femme ? Est-elle ivre ou parfaitement maîtresse de la situation). Montrer pour mieux dénoncer. Voir également Herr Tartuff (1926) du cinéaste Murnau, évoqué en cours.

-          Rappel du sens du vitrail : l'antithèse de l'anecdote qui se donne à lire. Image de la Tempérance faisant écho au possible portrait du mari absent.

 

                                                                                                                                                                                

 

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