N.B.
Les références de pages renvoient aux Œuvres complètes (O.C.) dans la
collection de La Pléiade, Gallimard, 1966.
-
Baudelaire
connu comme critique avant d’être reconnu comme poète.
-
La
critique de Vernet antithétique de la critique de Delacroix (cf. doc.
n° 18). Après le peintre adulé, le peintre honni.
-
Situation
du texte : un extrait, lui-même faisant partie d’un ensemble qui s’inscrit dans
une chronologie (Salon de 1846,
article suivant immédiatement "Du chic et du poncif" ; ce n’est sans doute
pas un hasard !).
-
La
critique, pour Baudelaire se doit d’être "partiale, passionnée, politique,
faite à un point de vue exclusif... ". Baudelaire successeur de Diderot ?
(cf. Diderot critiquant Boucher et Chardin, cf. O.C. note de bas de page, p. 932 et doc.
n° 58 et 57)
B.
Développement :
q
Une
critique à contre courant
§
Vernet,
objectivement : un peintre doué et curieux, adulé de son vivant et qui brûle
les étapes avec succès, occupe des postes importants. Du côté des romantiques
avant de rivaliser avec Ingres pour des œuvres plus linéaires. Ni coloriste,
ni linéaire, en fait. Peintre d’histoire militaire mais aussi de peinture
religieuse... (cf.
doc.
n° 20).
§
Un
exemple de la critique selon Baudelaire (rompt avec la tradition) : "Pour être
juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être
partiale (c’est moi qui souligne), passionnée, politique,
c’est-à-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui
ouvre le plus d’horizons... "
(O.C. p. 877). Le
texte se trouve être une parfaite illustration de cette définition...
§
Baudelaire
ne voit en Vernet qu’un peintre militaire. Cf. le syllogisme sous-jacent : "je
hais l’armée, or Vernet peint des sujets militaires, donc je hais Vernet... "
§
Baudelaire
est constant dans sa critique de Vernet. Ce dernier est sa tête de turc. [Lire
des passages extraits des Œuvres
complètes, par exemple p. 819, 872].
§
Delacroix
contre Vernet : montrer que Delacroix est présent sans être nommé. Rappeler que
Delacroix n’était pas forcément bien perçu dans son temps.
q Une
critique placée sous le signe de la haine ("haine, liqueur précieuse
[...] il faut en être avare")
§
Inflation
du mot "haïr". Reprise anaphorique (5 fois) : jamais Baudelaire n’ira aussi loin
dans sa critique. De la haine de l’homme à la haine de l’œuvre (ou l’inverse ?).
N’est-ce pas parce que l’homme est haï que son œuvre est rejetée en bloc
?
§
Les
mots dépréciatifs, voire provocateurs : "art improvisé", "toiles badigeonnées",
"peinture fabriquée", "masturbation agile et fréquente" (fortes connotations
morales : onanisme, plaisir solitaire, stérile...), "irritation de l’épiderme
français" / "vers bistournés et mal construits, plein de barbarismes et de
solécismes, mais aussi de civisme et de patriotisme"
(humour).
§
Le
champ lexical du (domaine) militaire : "militaire", "roulement de tambour", "au
galop", "coups de pistolet", "armée", "force armée", "guerre" [...] "boutons",
"uniforme", "guêtre", "buffleteries", "le cuivre des armes", "shakos", "sabres",
"fusils", "canons" (assurément plus de termes militaires que de termes renvoyant
à la peinture !) ; développement d’une proposition à l’emporte pièce : "M.
Horace Vernet est un militaire qui fait de la peinture", et qui fait mouche. [Lire p.
1059]
§
Les
raisons de cette haine ? Raisons esthétiques (art subalterne ancré dans son
temps, sans postérité. Il juxtapose les anecdotes comme il écrirait un roman
feuilleton. Ingénieuse mobilisation des curiosités vulgaires), mais aussi parce
que Baudelaire hait la chose militaire... Peut-être des raisons aussi à chercher
dans le biographique (cf. Le général Aupick, son beau père dont il dira toujours
le plus grand mal, qui prend la place du géniteur, esthète et peintre, et lui
"vole" sa mère).
§
Baudelaire
justifiera autrement, plus loin sa "brutalité" : "... il n’est pas imprudent
d’être brutal et d’aller droit au fait quand à chaque phrase le je couvre un nous, nous immense, nous silencieux et invisible, - nous, toute une génération nouvelle,
ennemie de la guerre, et des sottises nationales ; une génération pleine de
santé parce qu’elle est jeune, et qui pousse déjà à la queue, coudoie et fait
ses trous, - sérieuse, railleuse et menaçante ! " (p. 928). Baudelaire
dépositaire d’une sensibilité nouvelle.
q
De
l’art de l’éreintage. Sus au chic et au poncif !
§
Reprendre
les grandes lignes de l’article des Conseils aux jeunes littérateurs (p.
480) et illustrer avec le texte : "L’éreintage ne doit être pratiqué que contre
les suppôts de l’erreur" - "Il y a deux méthodes d’éreintage : par la ligne
courbe et par la ligne droite, qui est le plus court chemin" (Baudelaire
utilise, dans l’extrait qui nous retient, la ligne droite !) - "Elle consiste à
dire : M. X... est un malhonnête homme, et de plus un imbécile ; c’est ce que je
vais prouver... " - "Un éreintage manqué est un accident déplorable... " (celui
de Vernet est particulièrement "réussi" au sens où l’artiste ne s’en est jamais
remis).
§
L’ironie
au service de l’éreintage : "M. Horace Vernet" (fausse condescendance ?),
"deux qualités éminentes, l’une en moins, l’autre en plus" = défauts : absence
de passion, mémoire d’almanach... - "Quel immense public et quelle joie ! " -
"Quel spectacle ! "
§
Cf.
la progression qui dit assez l’anéantissement du peintre : "M. Horace Vernet...
", "Cet homme", "je le hais". Mouvement vers une dépersonnalisation qui
aboutit au coup de grâce qui confirme l’inexistence : "l’antithèse absolue de
l’artiste". Motif : "il substitue le chic au dessin".
§
Sus
au chic et au poncif ! [Lire p. 925-926] : "tout ce qui est conventionnel et
traditionnel relève du chic et du poncif". Dans sa chute, Vernet entraîne
Béranger (plus de 20 occurrences de ce nom dans l’œuvre), Meissonier (au moins
10 occurrences)... Granet, Dedreux. Occasion, donc, de citer le texte qui
précède immédiatement l’article sur Vernet. Vernet et Béranger associés encore
ironiquement p. 999 : "le grand
peintre et le grand
poète".
§
Au-delà,
condamnation du public qui vénère ce type d’artistes. Mépris hautain de celui
qui sait.
§
"Une
méthode simple pour connaître la portée d’un artiste est d’examiner son public.
E. Delacroix a pour lui les peintres et les poètes [...] M. Horace Vernet, les
garnisons... "
(O.C. p. 932). Voir
aussi le début du texte.
C.
Idées pour la conclusion :
-
Naissance
de la critique moderne ? (cf. Castex, Baudelaire critique d’art). Certains de
nos actuels critiques saluent en Baudelaire un père
spirituel.
-
Critique
subjective et injuste qui cache peut-être un problème personnel : n’est-ce pas
finalement plus l’homme que sa peinture que Baudelaire attaque ? Et pourquoi
?
-
Baudelaire
: "un militaire qui fait de la critique ? " (Il tire à boulets rouges sur
Vernet !).
-
Reconnaître
toutefois le goût sûr de Baudelaire puisque la postérité lui a donné raison...
(cf. son jugement sur Wagner).
-
Mais,
dans quelle mesure n’a-t-il pas infléchi ce goût et ce jugement, compte tenu
de son fort impact et de son rôle de "phare" dans l’histoire de la littérature
et de la critique d’art ? Songer au triangle de Kandinsky, en prenant soin
de l’adapter (doc.
n° 44).
© Pascal Bergerault. Sauf
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