DOC. n° 7 : Sylvie GERMAIN, Patience et songe de lumière. Vermeer, 1993.
La porte de Schiedam
Il est sept heures dix
au cadran de l'horloge de la porte de Schiedam. Le mât oblique d’une barque amarrée
devant l'arche de la porte pointe le clocher de la Nouvelle Eglise que le
soleil levant blondit doucement. C'est dans cette église que Johannes Vermeer
reçut le baptême un jour d'automne 1632. Il reçut également le don de la
lumière, - l'amour et l'intelligence de la lumière montée des confins de la
terre et de l'eau.
Le clocher dresse haut
sa clarté de paille qu'avivent le vert d'un arbre au feuillage sombre et le
bleu sourd du toit de la bâtisse de la porte de Rotterdam. De part et d'autre,
les toits des maisons scintillent d'or ambré, translucide : Des toits de miel.
Le soleil afflue avec lenteur dans le ciel de Delft ; il illumine un rucher de
maisonnettes, quelques façades, puis sa luminosité décroît comme s'il butait
contre les pierres brunes de la porte de Schiedam ; par-delà son éclairage se
fait plus froid, moins subtil: la lumière ne pépie plus, elle murmure en
sourdine: Les toits s'allongent et semblent peser davantage, alourdis de
cheminées, de lucarnes et de corail terni. Un clocher sombre les surplombe,
austère, celui de l’Ancienne Eglise où Johannes Vermeer fut enseveli un jour
d'hiver 1675.
Entre ces deux églises:
la blonde et l'anthracite. Vermeer a accompli son œuvre. Il faut donc pénétrer
dans la ville pour aller à sa rencontre, par la porte de Schiedam ou par celle
de Rotterdam, par voie d'eau ou de vent, qu'importe.
C'est le visible qu'il
s'agit de pénétrer par voie de songe et de patience, jusqu'à en frôler
l'intérieur, c'est-à-dire le revers d'invisible, de mystère et d'infini. Car
c'est là, en ce lieu d'étrange coïncidence entre le plus extrême dehors et le
plus intime dedans que se tint en vérité l'atelier du peintre :
"Le bruit cessa, en la lumière
qui demeura seule et pure." 1 […]
1. Mallarmé, Igitur